La Chine, les FTN et la DIT.

Les firmes multinationales ou FTN, pour l’essentiel occidentales, jouent un rôle important dans les conditions de travail dans les usines de production chinoises.

Ainsi, selon l’article de Wikipédia sur la Chine : « Aujourd’hui, 39% des exportations en provenance de Chine sont réalisées par des entreprises dont le capital est à 100% étranger et 20% sont le fait de partenariat entre les sociétés étrangères et les sociétés chinoises ».

L’activité des FTN prend plusieurs formes :

– Ces firmes peuvent choisir de déléguer à de plus petites entreprises une partie de leurs activités : c’est la sous-traitance. Elles imposent ainsi des normes à ces PME qui touchent aussi bien la qualité du produit, que des délais de livraison ou surtout le prix du bien sous-traité. Évidemment, la FTN n’a intérêt à sous-traiter que si elle peut acheter les marchandises à un prix inférieur au coût qu’elle devrait supporter si elle les produisait elle-même. Ce prix réduit signifie pour les entreprises sous-traitantes de devoir se contenter d’un revenu très faible qui se reflète essentiellement sur le coût horaire des travailleurs.

Elles peuvent aussi décider d’établir une filiale directement en Chine ou acquérir une entreprise locale.

Quelque soit le choix de la FTN , elle trouve des avantages fiscaux et sociaux importants en Chine qui expliquent son implantation. Elle pèse aussi sur les importations et les exportations de la Chine, qui est d’ailleurs devenue le premier exportateur mondial. Les FTN jouent donc un rôle politique et économique non-négligeable.

Ce rôle est défendu par certains au nom de l’intérêt économique. En effet, l’implantation d’une multinationale se traduit par l’entrée de capitaux dans le pays hôte (IDE), mais les multinationales transfèrent aussi des technologies et créent des emplois.

Cependant, dans le cadre de la Division Internationale du Travail, elles participent à la spécialisation de la Chine et donc à sa dépendance économique. De plus, elles entretiennent le maintien d’une main d’œuvre bon marché, et pour ce faire, elles n’hésitent pas à faire pression sur les décisions politiques intérieures qui vont dans ce sens.

Les conditions de travail sont déplorables dans les usines chinoises

Ainsi, si la Chine ne veut pas se voir concurrencée par d’autres pays ateliers et donc touchée à son tour par les délocalisations, elle doit maintenir des conditions sociales et économiques favorables aux multinationales étrangères. Ces conditions sont bien sûr terribles pour les travailleurs chinois : maintien des bas salaires, limitation du droit syndical, non respect de la législation sociale…

Sur cet extrait de l’excellent documentaire « China Blue », disponible sur Youtube, vous avez un bon aperçu des contraintes sociales imposées par les entreprises chinoises qui travaillent pour les multinationales occidentales :

Il y a donc une énorme hypocrisie de la part des multinationales qui assurent procéder à des contrôles sur leurs usines en Chine. Elles ont tout intérêt à ce que les conditions de travail restent déplorables afin de conserver la flexibilité, la compétitivité des usines chinoises…et donc préserver leurs bénéfices. Cet autre extrait de « China Blue » en est une démonstration flagrante :

Ces conditions de travail ne sont pas sans conséquence sur la santé des ouvriers. Ainsi, dans cet article de liberation.fr, on nous apprend que les conditions de travail dans les usine Apple sont « indignes » pour les hommes. En effet, « travail des enfants, cadences infernales, intoxications par des produits chimiques » et autres infractions à la législation sociale chinoise sont monnaies courantes.

La pression sur les ouvriers blessés ou intoxiqués est aussi énorme puisque tout est fait pour qu’ils ne portent pas plainte contre leur usine. Dans ce même article, le journaliste relève le témoignage d’un ouvrier, Jia Jingchuan, hospitalisé après avoir été intoxiqué. Voici ce qu’il déclare huit mois après être sorti de l’hôpital et toujours souffrant:

«Ils ont promis de me donner 140 000 yuans [15 600 euros, ndlr] de compensation à condition que je signe un accord dégageant l’entreprise de toute responsabilité si ma santé s’aggravait à l’avenir.»

Mais les choses changent en Chine.

Les ouvriers sont de moins en moins soumis. Pour certains, malheureusement, la réaction passe par le suicide. Dans cet autre article de liberation.fr, le journaliste relate une vague de suicide à l’usine Foxconn de Shenzen (près de Hong-Kong). Dans cette usine, on fabrique à la chaîne l’iPhone d’Apple, les téléphones portables Nokia, les consoles de jeu de Sony et les ordinateurs de Dell et Hewlett-Packard. Or, les conditions de travail sont telles que 10 ouvriers se sont suicidés dans l’usine en « plongeant du haut des dortoirs modernes où ils vivent entassés à dix par chambré. » Il faut savoir que le phénomène a pris une telle ampleur que dans plusieurs usines des filets ont été installés pour empêcher les ouvriers de se jeter dans le vide dans les usines !!!

Heureusement, d’autres formes de contestation se développent aujourd’hui en Chine et notamment les grèves et manifestations qui prennent, elles aussi, de plus en plus d’ampleur. Certes, ces mouvements sont souvent réprimés mais ils sont de plus en plus nombreux et les autorités chinoises, notamment aux niveaux régional et national, sont de plus en plus favorables à une augmentation des salaires pour assurer un développement économique général. Dans ce troisième extrait de « China Blue », on peut constater que les ouvriers de cette usine de fabrication de jeans essaient de ne pas se laisser faire quant au non-paiement de leurs salaires :

Les solutions envisageables

Dans un entretien accordé au semestriel 6 mois, Jean Ruffier, chercheur au CNRS en sociologie et économie, explique que  » En fait, le prix de fabrication en Chine d’un jean de bonne qualité ne dépasse généralement pas 5% de ce que paie l’acheteur (…). Ce sont le marketing et la publicité qui constituent l’essentiel des dépenses engagées par les marques occidentales (…). Cela signifie qu’on pourrait augmenter sensiblement le prix de fabrication du jean, et le porter à un niveau qui permettrait de la produire chez nous. » En bref, les délocalisations ne sont pas toutes justifiées.

Aux chinois de conquérir les marchés de proximité maintenant qu’ils ont profité des transferts de technologie occidentaux.

Enfin, des économistes estiment qu’il faut taxer les produits fabriqués dans des conditions sociales et environnementales inacceptables. Cela pourrait avoir comme effet de « forcer » les entreprises chinoises à adopter des règles de comportement conformes aux normes européennes ou américaines. Les multinationales occidentales ne pourraient donc plus se dispenser d’une réflexion sur leur impact économique et sociale dans le monde.

Bertrand Gault

Mondialisation et mafia

En complément d’un passage récent du cours sur la mondialisation consacré aux mafias et à la mondialisation des trafics illicites, je vous renvoie sur un article qui vient de paraître sur le site presseurope.ue au sujet du trafic d’êtres humains dans le contexte de la crise économique. Vous pourrez compléter la lecture de cet article avec la synthèse (rapide) du rapport annuel Traite et trafic des êtres humains 2010 édité par le Centre pour l’Egalité des Chances et Contre le Racisme et qui montre bien le danger que représentent les « abus de la libre circulation des travailleurs au sein de l’EU » et les immenses inégalités dans le traitement des salariés de part le monde.

Deux vidéos du site affaires-stratégiques.info complète le propos, sur le trafic d’armes…

… et sur le poids des mafias en Italie (et, par extension, du fait de la facilité grandissante de la circulation en Europe) dans l’est de l’Espagne et le sud de la France :

J’attire enfin votre attention sur l’importance grandissante des cartels de la drogue au Mexique, qui étendent leurs réseaux vers l’Amérique du Sud (Colombie..) et bien sûr (et surtout) vers l’Amérique du Nord (EU). Une simple recherche sur Google actualités avec les termes « mexique » et « cartels » (le 19 octobre 2011) donne une idée de l’ampleur des opérations qui sont menées depuis quelques semaines dans le nord du pays…

Sébastien Legros

Pour en finir avec certains clichés sur le Japon

Depuis le 11 mars 2011 et la catastrophe qui frappe le Nord du Japon, nous assistons à un déballage de stéréotypes sur les Japonais, dignes des meilleurs « journalistes » du XIXème siècle. Il me semble important de revenir sur ces malheureux clichés et d’en démontrer les inepties, afin d’apporter une meilleure connaissance de ce pays, de sa culture, qui est bien plus complexe que l’on ne veut bien le voir ici.

Le premier de ces clichés est : « ils n’ont pas d’émotion et le collectif prime toujours sur l’individu ».

Tout d’abord, ne pas se lamenter devant devant les télévisions du monde entier ne me paraît pas exceptionnel. Le respect de la dignité, de l’intimité dans la douleur, me semble être une réaction tout à fait saine et normale. Certes, cela cadre mal avec nos pratiques télévisuelles qui, depuis quelques années, abreuvées de télé-réalité, font un déballage d’émotions en direct, de larmes, de cris, de comportements complètement indécents qui ne doivent pas apparaître comme une norme de référence. En effet, toutes ces pseudo-émotions n’ont souvent rien à voir avec le choc vécu par les japonais après ce terrible tsunami.

D’ailleurs, lorsque l’on regarde certaines photographies (voir ci-dessous) ou que l’on lit certains articles , on se rend compte de la tristesse des survivants.

survivante retrouvant son frère et sa soeur, vivants, après le tsunami

femme effondrée après avoir reconnu les corps de son fils de 3 ans et de sa mère

Que les japonais victimes de cette tragédie préfèrent témoigner dans la presse écrite, plutôt que d’apparaître à la télévision, est une marque de décence et de dignité.

De plus, il faut revenir sur le soi-disant esprit collectif des japonais. De nombreux articles expliquent que, au moment de l’arrivée de la vague, c’était chacun pour soi. Un journaliste du New York Times met en évidence dans son article que les personnes âgées, incapables de se réfugier vite dans les hauteurs, ont été « abandonnées » à leur sort par les autres qui essayaient de se sauver. Certains ont aidé, d’autres, non. Comme cela se serait probablement passé n’importe où dans le monde.

La deuxième idée reçue sur laquelle je voudrais revenir est « Ils sont résignés face à la catastrophe ».

Le Japon est un des pays les plus dangereux dans le monde. Ce « danger » est lié aux risques naturels. Lorsqu’une tragédie les frappe, comme le dernier tsunami, que doivent-ils faire ? Crier contre les éléments ? Leur pays est, probablement, le mieux préparé au monde pour faire face aux séismes, tsunamis et autres typhons qui les frappent régulièrement ; donc, les réflexes et les consignes de sécurité sont intégrés par tous. Mais quand la nature a décidé de frapper, difficile de s’en prendre à quiconque…surtout quand on constate que les bâtiments ont plutôt bien résisté à un séisme de 9 sur l’échelle de Richter (c’est le maximum de puissance !) et que les alertes au tsunami ont fonctionné.

De plus, il y a au Japon une vraie « culture » de la catastrophe que l’on retrouve dans les mangas ou le cinéma.

"Ponyo sur la Falaise" (Hayao Miyazaki, 2009)

En effet, de nombreuses œuvres de science-fiction ou de fantastique se basent sur ce type de catastrophes.

Katsuhiro Ōtomo, "Akira" (1982). La destruction de Neo-Tōkyō

Reste le risque nucléaire qui s’abat maintenant sur la zone. Des millions de japonais ont quitté Tokyo et sa région mais pour aller où ? ceux qui n’ont pas de famille dans le sud doivent se payer l’hôtel ! et pour combien de temps ? quelques jours, une semaine, plusieurs semaines comme nous l’apprenons maintenant ? Soyons sérieux, il est impossible de faire face à une telle catastrophe dans une région de plus de 35 millions d’habitants. D’ailleurs, les Japonais ont peur et tentent de se protéger.

vérification de radiation sur un bébé de Nihonmatsu, dans la préfecture de Fukushima, le 15 mars 2011

un officiel en tenue de protection oriente une personne vers un centre de vérification de radiation à Koriyama, le 15 mars 2011

De plus, nous, en France, nous sommes très calmes, et pourtant nous possédons le 2ème parc nucléaire au monde pour un territoire très modeste. Si vous regardez la carte ci-dessous, vous pouvez constater que personne n’est à l’abri d’une catastrophe nucléaire et que faisons-nous ? Nous subissons, comme les Japonais. On pourrait me répliquer qu’une telle catastrophe n’est pas possible en France mais je vous rappelle que le Japon est un pays qui sait faire face à ces catastrophes et pourtant… Qu’en est-il pour nos centrales face aux risques d’inondations ? de tempêtes ?

carte nucléaire en France

Dans cet article, Gilles Balbastre explique que les risques majeurs de nos centrales résident dans la manière dont elles sont gérées, plus que dans les risques naturels.

Pour finir, le dernier sentiment très répandu en France est : « ils sont riches, ils n’ont pas besoin d’aide ».

Certes, le Japon est une des premières puissances économiques mondiales, ils n’ont pas besoin d’hommes, ni de matériels. Mais comme le rappelait le président de la Croix Rouge française, les taux d’assurance sont tellement élevés que de nombreux japonais ne peuvent pas assurer leur maison. Les ONG ont donc besoin d’argent pour aider les plus pauvres à reconstruire un logement.

Voilà, il ne s’agit pas ici de tomber dans un relativisme niais lié à la mondialisation.Les Japonais ont un sens du collectif et de la soumission plus poussé que chez nous. Leur environnement culturel, le shintoïsme, leur permet de faire face à des catastrophes naturelles avec un certain fatalisme. Les Japonais ont une culture riche et singulière, mais ce n’est pas à coup de clichés que nous pourrons mieux l’appréhender.

Bertrand Gault

La communauté internationale et la Libye : des liaisons dangereuses.

Au pouvoir en Libye depuis son coup d’Etat de 1969, qui a conduit au renversement de la monarchie en place et la création de la « République arabe libyenne », devenue en 1977 « Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste » – c’est d’ailleurs sous le nom de Jamahiriya arabe libyenne que le pays est enregistré à l’ONU- Mouammar Kadhafi entretient depuis plus de 40 ans des relations très particulières avec la communauté internationale.

Dans les années 1970, la Libye ouvre la voie aux chocs pétroliers de 1973 et 1979

En septembre 1970, Kadhafi, jeune (autoproclamé) colonel révolutionnaire, à la tête de la Libye depuis quelques mois, impose pour la première fois, unilatéralement, une augmentation du prix du pétrole, à une époque où les majors (grandes compagnies pétrolières occidentales) dominent ce marché de manière absolue. C’est un premier coup de tonnerre médiatique.


La suite est connue : en 1973, les pays de l’OPEP (organisation des pays exportateurs de pétrole) décident de multiplier par 4 le prix du baril, plongeant les pays développés dans une situation de crise, encore accentuée par le choc pétrolier de 1979.

Les années 1980 sont marquées par une intense activité terroriste libyenne.

Le pouvoir libyen est clairement accusé d’être impliqué dans des attentats terroristes, celui de Lockerbie en 1988 restant le plus symptomatique : l’explosion en vol, au-dessus de l’Ecosse, d’un avion réalisant la liaison Londres- New York fait plus de 250 morts

http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_Lockerbie

Dans les années 1990, Kadhafi, chef d’un « Etat-voyou »

C’est ainsi que l’administration étasunienne considère, à partir de Ronald Reagan (1980-84 et 1984-88), les pays ne respectant pas les lois internationales et soupçonnés de commanditer des attentats.

Suite à l’attentat de Lockerbie, la communauté internationale somme Kadhafi de coopérer avec la justice britannique et étasunienne, en extradant des Libyens suspectés d’être les auteurs de l’attentat. Le refus du dictateur conduit à un embargo contre la Libye voté en 1992 au Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi qu’un gel des ressources libyennes à l’étranger à partir de 1993.

Dans les années 2000, Kadhafi travaille son image internationale « respectable ».

Les agents secrets libyens suspectés de l’attentat de Lockerbie sont livrés à la justice écossaise en 1999 ; en 2003 la Libye reconnaît officiellement sa responsabilité dans cet attentat et indemnise les familles des victimes ; Kadhafi annonce enfin en décembre 2005 qu’il renonce à son programme d’armes de destructions massive.

Les sanctions de l’ONU à l’encontre du pays sont toutes progressivement suspendues.

Mieux encore, en 2003, la Libye obtient la présidence de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, ce qui n’est pas sans susciter l’indignation de nombreux pays membres, des défenseurs des droits de l’homme dans le monde entier, et porter le discrédit sur une instance onusienne souvent accusée de faiblesse face aux dictatures.

http://www.liberation.fr/monde/0101437771-la-libye-fait-main-basse-sur-les-droits-de-l-homme-a-l-onu

Le dictateur libyen peut alors entreprendre une intense campagne de réhabilitation auprès des démocraties occidentales : redevenu « fréquentable » et détenteur du précieux or noir, Kadhafi est reçu par de nombreux dirigeants européens, non sans débats au sein des sociétés démocratiques. Ainsi sa venue en France en 2007 est polémique :

http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-economique/video/3507923001008/polemique-autour-de-la-visite-officiel-du-colonel-kadhafi.fr.html

En 2011, une « amitié » difficile à assumer…

http://owni.fr/2011/02/22/photo-de-kadhafi-a-paris-lelysee-a-menti/

C’est en France que la polémique resurgit en 2011, alors que le dictateur libyen, en place depuis désormais 42 ans, doit faire face à la révolte d’une partie du peuple, réclamant démocratie, Droits de l’homme et bien sûr départ du dictateur. Celui-ci, contrairement à Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Egypte se cramponne à son pouvoir, légitimé par un discours plus que confus et surtout appuyé par le recours à l’armée qui lui reste fidèle et des mercenaires africains.

Le 18 mars 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution contre la Libye de Kadhafi

http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/CS10200.doc.htm

Par 10 voix sur 15 (abstention de la Chine et la Russie, qui n’ont pas utilisé le droit de véto que leur octroie leur statut de membre permanent, ainsi que de l’Allemagne, Inde et Brésil), la résolution permet la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye et autorise « toutes les mesures » contre les autorités libyennes de Kadhafi si elles attaquent les opposants au régime.

Pour aller plus loin :

Libération propose une rétrospective de 40 ans de relations franco-libyennes :

http://www.liberation.fr/monde/06013262-kadhafi-et-la-france-40-ans-d-amour-ou-pas

Nadia Benferhat


Essai de synthèse sur les événements japonais

Un rapide billet pour synthétiser le flot d’informations qui nous provient en temps continu du Japon.
Premier point : le Japon est une archipel marqué par une forte activité tectonique et volcanique, comme le montre la carte suivante (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Tectonic_map_of_Japan-fr.png)

C’est dans une zone de subduction que le séisme est intervenu, vendredi dernier. La carte suivante localise l’épicentre du séisme, au large de la ville de Sendaï, et son ampleur physique (source : http://abonnes.lemonde.fr/international/infographie/2011/03/11/un-seisme-d-une-magnitude-de-8-9-frappe-la-ville-de-sendai-au-japon_1491875_3210.html#ens_id=1491461) :

Le petit montage vidéo suivant montre de façon dramatique l’avancée de la vague générée par le séisme. Les 4 premières minutes montrent le recouvrement de la plaine littoral et en particulier des terroirs agricoles avec leurs serres innombrables, caractéristiques de l’agriculture extrêmement intensive d’un pays de 127 millions d’habitants où les surfaces agricoles utiles sont peu nombreuses -14% du territoire… contre 53% en France, par exemple!- (ces terres recouvertes sont à présent salinisées et donc impropres à l’agriculture) ; la suite montre l’avancée de la vague propre au tsunami.

Pour évaluer l’impact physique des deux phénomènes (séisme et tsunami), il faut d’abord préciser que, si les médias focalisent nettement sur Tokyo, la zone touchée n’est pas la mégalopole japonaise, mais le nord-est de l’île d’Honshu (la mégalopole s’étend davantage vers le sud-ouest, vers les îles de Kyushu et Shikoku). La carte suivante (source : http://japgeo.free.fr/Sendai/SeismeTohoku2011.png) localise précisément la zone dévastée, où les sauveteurs s’activent actuellement dans des conditions de plus en plus difficiles (notamment à cause de la neige qui tombe abondamment et qui réduit considérablement la visibilité) :

Si la mégalopole a donc assez largement été épargnée (les normes anti-sismiques draconniennes établies après le séisme de Kobé en 1995 ont rempli leur rôle), cela ne signifie pas que l’impact humain et secondairement économique de la catastrophe soit limité : le bilan officiel fait actuellement état de 3771 morts, 8181 disparus et 1990 blessés (qu’aurait-il été dans un pays moins bien préparé que le Japon ?). Les destructions sont massives, comme le montrent ces pages du New York Times qui permettent de visualiser les lieux touchés avant et après le passage du tsunami et qui proposent une infographie très précise sur les pertes humaines et les destructions dans la zone. Elles impacteront durablement l’économie du pays. Dès lundi, la bourse de Tokyo s’effondrait et on estime d’ores et déjà que la catastrophe coûtera vraisemblablement 2 points de PIB au Japon (alors même que la reprise économique du pays, après une période récessive, est poussive : voir ici une vidéo sur le sujet).

Et puis, il y a les conséquences nucléaires ! dès samedi dernier, 1 des 6 réacteurs de la centrale de Fukushima subissait une explosion qui lançait une alerte à la contamination nucléaire d’abord limitée puis dont la gravité a été constamment réévaluée :

Une infographie visible ici résume l’enchaînement des faits qui aboutissent à la situation actuelle (mercredi 16 mars, 17h) :

  • Réacteur 1 : L’enceinte de confinement du réacteur est  intègre. Il n’y a aucune fuite radioactive incontrôlée, mais des dépressurisations volontaires de l’enceinte de confinement sont réalisées. Chaque ouverture entraîne de nouveaux rejets de produits radioactifs dans l’environnement.
  • Réacteur 2 : L’enceinte de confinement est endommagée. Cela implique des rejets radioactifs non filtrés dans l’environnement.
  • Réacteur 3 : Le cœur du réacteur est partiellement endommagé. Le gouvernement japonais émet des doutes sur l’intégrité de l’enceinte de confinement à la suite d’un dégagement de vapeur actuellement visible.  L’origine de ce dégagement de vapeur reste à confirmer par le gouvernement japonais.
  • Réacteur 4 : la piscine est en ébullition. A défaut d’appoint d’eau, un début de dénoyage des combustibles interviendra sous quelques jours. L’assèchement de la piscine conduirait à terme à la fusion du combustible présent. Dans un tel cas, les rejets radioactifs correspondants seraient bien supérieurs aux rejets survenus jusqu’à présent.

Je vous renvoie à différentes pages permettant de comprendre comment fonctionne un réacteur nucléaire, le problème posé par les réacteurs de Fukushima, et quels sont les niveaux de dangerosité d’une exposition à des radiations nucléaires.

Pour le coup l’impact des conséquences nucléaires du séisme est bien mondial. D’abord parce que les rejets radioactifs peuvent être disséminés à très large échelle (les infos sont contradictoires à cet égard, certaines sont alarmistes, d’autres non) ; ensuite parce que la couverture médiatique diffuse l’information  en temps réel à l’échelle planétaire ; enfin parce que dans une période d’incertitude énergétique (augmentation du prix du pétrole, raréfaction éventuelle des ressources d’hydrocarbures), la catastrophe va reposer la question la dangerosité du nucléaire (et la question fait déjà débat en Europe)

Au final, ces événements sont d’autant plus douloureux qu’ils frappent un pays doublement symboliques, d’abord parce que l’identité même du Japon est marquée le souvenir du bombardement nucléaire d’Hiroshima, ensuite par le rapport historique que ce pays entretient avec le déchaînement des éléments naturels (le terme « tsunami » est d’ailleurs japonais). Plus que jamais l’une des oeuvres emblématiques de l’art japonais reste la grande vague de Kanagawa, d’Hokusaï !

Sébastien Legros

Tunisie et Égypte, deux révoltes populaires réussies et prometteuses

Tout est parti de Tunisie, même si l’Égypte connaissait des protestations sociales depuis déjà plusieurs mois. La chronologie est malgré tout surprenante car tout s’est passé très rapidement. Regardez ce cours reportage d’Arte qui explique comment les deux processus se sont déroulés.

Il est particulièrement intéressant d’essayer de comprendre pourquoi ces deux pays ont connu ces révoltes et aussi pourquoi les pays occidentaux n’ont rien vu venir.

Les dictatures de Ben Ali et de Moubarak ont toujours été violentes (tortures, disparitions des opposants), liberticides (censures, refus du pluralisme politique) et basées sur la terreur (il y a en Tunisie près de 100 000 « policiers » pour 10 millions d’habitants, alors que la France en compte 140 000 pour 60 millions d’habitants -et c’est le pays de l’UE qui a le plus de policiers par rapport à sa population !!). Malgré ceci, ces deux dictateurs ont toujours reçu un soutien sans faille de l’Occident qui préfère une « bonne dictature » maintenant la population muselée et sous contrôle qu’une démocratie imprévisible ou supposée telle.

Les dirigeants occidentaux préfèrent surtout des « dictateurs amis » qui placent leur argent dans les banques occidentales, achètent des propriétés dans leur pays et les invitent à passer des vacances au soleil (la fortune de Moubarak est estimée à 70 milliards de dollars, il a acheté des propriétés à Londres, Las Vegas, Genève…) plutôt que des régimes indépendants de leur influence.

Regardez ce deuxième reportage d’Arte qui explique rapidement pourquoi les occidentaux ont soutenu ces deux dictateurs.

De plus, la vision simpliste que les médias occidentaux, notamment français, donnent des sociétés tunisienne et égyptienne est assez révélatrice de l’ignorance et du manque d’ouverture vis-à-vis de nos voisins dont fait preuve notre société.

À ce titre, l’exemple de la Tunisie est intéressant, pour nous Français. En effet, la société tunisienne est l’une des plus moderne des pays arabes, le statut de la femme est le plus avancé (droit au divorce, relative liberté sociale), le niveau d’éducation est élevé (le système scolaire tunisien est efficace) et l’accès aux nouvelles technologies, à commencer par la possibilité de regarder la chaîne Al Jazeera par satellite, est plutôt facile.

Or, il n’y avait dans cette société aucune liberté politique. Les libertés d’expression et d’opinion étaient complètement absentes : pas de presse d’opposition, pas de pluralisme politique, une répression systématique de toute tentative d’opposition au régime. Et pourtant, les tunisiens ont eu le courage de contester le régime, car une société moderne ne peut fonctionner sur le long terme sans liberté. Ils comprenaient leur situation et ont su y faire face. Nous, non. Manifestement, nous n’avons pas compris à quel point leur situation était intenable.

En outre, une société éduquée, libre, sachant contester l’ordre établi peut-elle basculer vers un intégrisme religieux violent ?

On nous agite le « chiffon rouge » de l’islamisme. Mais n’est-il pas préférable que ces peuples vivent en démocratie et choisissent librement leurs représentants plutôt que de maintenir au pouvoir des tyrans contre toutes nos valeurs ? Quelle légitimité pour nos discours sur la liberté et les droits de l’Homme si, au nom de notre sécurité, nous sommes prêts à accepter l’ignominie à nos portes ? Sur quelles bases nous appuyons-nous pour agiter une telle menace ?

Tous ces commentateurs, qui ont passé leur vacances avec des amis bien placés dans ces sociétés corrompues et répressives ont-ils une analyse pertinente de la situation ? Que savent nos gouvernants et nos élites sur ces peuples, eux qui passaient leur temps à justifier l’existence de tels régimes ?

Appuyez-vous sur les vrais spécialistes du monde arabe qui nous expliquent la complexité des sociétés actuelles dans ces pays (cf http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/12/revolution-post-islamiste_1478858_3232.html#ens_id=1470465).

Ils nous démontrent, en effet, que la vision « dictateur ou islamistes » est très réductrice, et surtout dépassée.

J’y vois, pour ma part, encore une preuve de la frilosité et du repli sur soi que la France exprime de plus en plus face à ce monde complexe dans lequel nous ne jouons plus un rôle majeur. Quelque soient les résultats des ces deux révolutions, l’attitude des occidentaux est pleine d’enseignements quant à notre difficulté à comprendre les enjeux futurs dans un monde que l’on ne dominera plus…

Bertrand Gault

Du racisme ordinaire en France…

Il y a en France comme un parfum entêtant de racisme ordinaire qui se diffuse tranquillement dans nos médias nationaux. Ce racisme, qui semble ancré chez une partie de nos élites, trouve des intermédiaires non seulement dans le monde économique, mais aussi dans le monde intellectuel.

Ainsi, 2 exemples récents nous incitent à la vigilance mais nous posent aussi des questions sur notre relation à l’autre dans un monde globalisé.

Le premier exemple représente un racisme « de vieux », c’est la sortie de Jean-Paul Guerlain (fondateur du groupe de parfumerie), le 15 octobre 2010, pendant le journal télévisé de 13h sur France 2. Il avait alors déclaré, pour répondre à une question de la journaliste Élise Lucet : « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… » . Ces propos sur « les Noirs fainéants », grand classique du racisme colonial de nos grands-parents -et accessoirement toujours bien répandu en France- sont certes stupides, mais le plus inquiétant au XXIème siècle c’est l’absence de réaction, immédiate ou non, que ces propos ont provoqué (ou plutôt n’ont pas provoqué !). Il est intéressant de constater à quel point notre passé colonial n’est toujours pas digéré, ni assumé !

Toutefois, il faut écouter l’éditorial du lundi 18 octobre 2010, sur France Inter, d’Audrey Pulvar, qui avec beaucoup de maîtrise et de détermination, répond efficacement, non seulement à l’auteur de ces propos, mais aussi à tous ceux qui se sont tus (y compris Élise Lucet, incapable de réagir sur le moment).

Le deuxième exemple est celui des différentes prises de position d’Éric Zemmour dans les très, très, très nombreuses émissions ou publications auxquelles il participe. Digne représentant des idées réactionnaires en France -il est invité pour cela d’ailleurs-, il passe son temps à fustiger, entre autre, les délinquants d’origine étrangère (ou en tout cas aux noms à consonance étrangère, la situation étant complexe entre « étranger » et « immigré » car ni le nom, ni la tête ne fait de vous un bon Français !).

Cette forme de racisme, plus récent, attribue les problèmes de délinquance à une appartenance ethnique ou culturelle pour éviter de se poser la question sociale pourtant fondamentale qui accompagne cette délinquance.

Outre les informations que l’on peut tirer de ce cas sur la déplorable situation de la presse traditionnelle française (Zemmour intervient dans Le Figaro, sur RTL, sur I-télé et sur France 2), il donne surtout une vision étriquée, rétrograde, repliée sur elle-même de la société française.

Pour bien comprendre l’ineptie de tels propos, il faut lire cet article sur Rue89.com, écrit par un professeur d’université. Il est particulièrement simple, concret et, lui-aussi, efficace : pourquoi-jai-temoigne-au-proces-deric-zemmour-186590

Il faut espérer que ces idées du passé, pleines de peur et de rejet ne dominent pas dans notre société à une heure où l’ouverture, la curiosité et surtout la capacité d’adaptation sont plus que nécessaires pour relever le défi d’un monde en pleine mutation.

Bertrand Gault

Sur la pauvreté aux Etats-Unis

On vient d’évoquer en cours la pauvreté aux Etats-Unis comme une limite du système américain… et avant tout comme une conséquence d’un système qui privilégie l’initiative privée (y compris dans la protection individuelle : santé, retraite, formation) au détriment de l’action publique. De façon symptomatique les aides publiques qui viennent d’être accordées par le gouvernement américain pour contrer l’impact social de la crise économique sont très limitées (1% du PIB) ; les statistiques pourraient être multipliées à cet égard, plusieurs articles récents (bilan de l’année oblige) se faisant l’écho des difficultés sociales de la 1ère puissance mondiale. On relèvera que 59 millions d’Américains (sur 310, cad près de 20%) restent ainsi sans couverture maladie ; la pauvreté touche officiellement 44 millions d’Américains (4 millions de plus en 2009 par rapport à 2008, crise oblige, mais la tendance était de toute façon à la hausse depuis 2001) cad 14% de la population… le % monte à 25% pour les populations noires et hispaniques (données fournie par le Census, équivalent US de notre INSEE, en septembre dernier; voyez aussi, ici, ce cours article, de 2009, tiré de Courrier International). En 2008 pour la première fois, l’espérance de vie américaine a connu une légère baisse après une trentaine d’années de progression continue !

Dans ces conditions, la réforme du système de santé américain réalisée par B. Obama, nous apparaît urgente (vue d’Europe où l’Etat-Providence est nettement plus avancé) ; elle a constitué une réelle victoire pour le camp démocrate, comme l’explique la vidéo suivante, mais il n’est pas sûr qu’elle puisse s’appliquer correctement, tant les réticences idéologiques à ce programme restent fortes dans le pays de la responsabilité individuelle !

Une dernière remarque sur notre Vieux Continent. Certes, comme je l’écrivais plus haut, l’Etat-Providence y est plus avancé qu’aux Etats-Unis, mais les disparités sont importantes d’un pays à l’autre dans l’UE à 27… et les moyennes sont peu réjouissantes : l’office européen des statistiques (Eurostat) vient de publier, cette semaine, une étude qui montre que 81 millions d’européens (soit 16,5 % de la population de l’UE) disposaient d’un revenu au-dessous du seuil national de pauvreté en 2008 (donc au moment où la crise à commencé à sévir… on attend les chiffres pour 2009 et 2010 !).

Sébastien Legros

Sur l’agriculture américaine : Monsanto, la recherche agronomique et la puissance d’une des principales FTN américaines

Pour rebondir sur les cours du moment sur la puissance américaine, en particulier dans le secteur agricole, voici un petit dossier sur la firme Monsanto, évoquée au sujet du cluster Cargill-Monsanto, qui pèse à lui seul, je le rappelle, près de 15% du PIB américain ! Monsanto est célèbre chez nous, dans le grand public, pour son désherbant (annoncé comme « biodégradable« ) Roundup. Voici la vidéo de la publicité évoquée en cours, avec Rex le chien, son os et son roundup…

Pour contextualiser cette pub, je vous renvoie au site de Monsanto, qui montre bien le double positionnement de la firme dans l’agriculture « durable » (tout ce vert sur la page d’accueil !) et surtout dans « l’innovation » et la « technologie » agronomique : voyez cet article de Libération, qui souligne la bonne santé du groupe et l’ampleur de ses investissements dans le R/D, à hauteur de 10% du chiffre d’affaires total du groupe (ce qui n’est pas fondamentalement original comte-tenu de l’ampleur des investissements américains dans la recherche : grosso modo les EU réalisent le tiers des dépenses mondiales en R/D)

Monsanto est, historiquement, une firme spécialisée dans la chimie, réorientée dans les biotechnologies et la génétique. Comme évoqué en cours, la stratégie du groupe est monopolistique : un article de la revue Courrier International montre ainsi comment Monsanto s’impose lentement comme un fournisseur exclusif en semences (génétiquement modifiées), aux dépens des semenciers indépendants (qui disparaissent progressivement). La stratégie est aussi clairement mondialisée : Monsanto est une FTN présente dans 82 pays.

Cette firme a sa part d’ombre : une enquête (controversée) de la journaliste Marie-Monique Robin, en 2008, a fait scandale, pointant du doigt à la fois l’influence de Monsanto sur les décisions publiques américaines et surtout l’impact sanitaire déplorable de ses activités, tant sur les populations qui vivent près de ses entreprises (et des rejets chimiques qu’elles induisent) que sur l’environnement. Je vous renvoie au site d’Arte, qui a diffusé le film tiré de cette enquête : Le monde selon Monsanto. Vous pouvez en visionner la bande annonce ci-dessous :

Sébastien Legros

Sur le soft power américain

La notion de soft power, évoquée récemment en cours, a été récemment étudiée par un sociologue français, Frédéric Martel, dans son dernier ouvrage Mainstream, une enquête sur la culture qui plait à tout le monde. Le titre, Mainstream, « courant dominant » en français, fait référence à un concept anglo-saxon (on trouve une page sur le sujet dans le wikipedia anglais, ici, mais pas dans le français) qui signifie en quelque sorte le courant de pensée dominant. L’auteur explique dans son étude en quoi la culture constitue un élément décisif de l’influence douce des Américains. Il l’explique très bien dans la vidéo ci-dessous (son interview récente sur France Inter), que vous pouvez compléter par un article rapide et efficace dans Le Figaro.

Sébastien Legros